Introduction
En juillet 2025, nous avons publié une première page d’actualité pour présenter nos nouveaux supports pédagogiques inclusifs. Cette publication marquait une étape importante : celle d’un travail amorcé en réponse aux exigences du référentiel Qualiopi, mais déjà nourri par des questionnements plus larges sur l’accessibilité, la lisibilité et l’ « équité » en formation.
Le présent article ne revient pas sur les contenus techniques de cette refonte. Il cherche plutôt à éclairer ce qui l’a rendue nécessaire, ce qui l’a traversée, et ce qui l’a nourrie en profondeur. Pourquoi cette transformation de l’ensemble de nos ressources pédagogiques ? Par quelle étapes sommes-nous passés, quels questionnements ?
Le fil qui nous a guidés est celui d’une pédagogie qui accueille la vulnérabilité comme levier d’apprentissage, et qui pourrait permettre à chacun·e de trouver sa juste place, dès l’entrée en formation.
List and Sense, organisme de formation certifié Qualiopi depuis juillet 2021, déroule dans cet article les différentes étapes de la transformation des ressources pédagogiques, plus « inclusifs », de sa formation phare en gestion du temps.
Une évolution née d’un cadre règlementaire, portée par une intention d’élargir nos publics
Avec transparence, nous pouvons dire avant tout que la refonte de nos supports pédagogiques « inclusifs » n’a pas émergé d’un élan spontané. Elle s’est d’abord inscrite dans le cadre du référentiel Qualiopi, piloté par la Direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du Travail, qui nous a invité à interroger l’accessibilité de nos contenus. Ce cadre, perçu initialement comme une contrainte, a rapidement ouvert un espace de réflexion plus large : comment rendre nos formations plus accueillantes et ouvertes à des publics porteurs d’un handicap ?
Une évolution prolongée par une démarche exploratoire
La transformation de nos supports s’est construite ainsi dans un esprit de questionnement. En premier lieu, il nous a fallu comprendre ce que signifiait « rendre plus accessible la formation aux personnes porteuses d’un handicap ». Et cette étape, en réalité, a été la plus difficile . Non pas sur le plan technique, mais sur le plan de la clarté : qu’est-ce que nous pouvions concrètement mettre en place à notre niveau ? Quels leviers étaient réellement à notre portée avec les moyens dont nous disposions ?
Pour y répondre, nous avons avancé par « couches », par étapes successives. Un webinaire organisé par l’Agefiph en mars 2022, d’une formation sur l’accessibilité numérique et pédagogie inclusive en 2023 de Via Compétences, des partages d’expérience avec des acteurs du handicap tout le long, des échanges avec la Ressource Handicap Formation en 2024 et avec notre conseiller début 2025 , l’exploration des guides Modul’Pro de l’Agefiph…
Il s’agissait, très concrètement, de comprendre ce que nous pouvions mettre en place à notre niveau. Au départ, nous avions beaucoup de doutes sur notre capacité à engager ces changements, notamment en termes de ressources techniques et financières. Mais en avançant étape par étape, nous avons compris que rendre nos supports accessibles était à notre portée, selon nos capacités. C’est donc en avançant pas à pas que nous avons pu identifier les actions que nous pouvions assez simplement mettre en place.
Et c’est dans cette progression, lente, que la démarche a mûri. Trois années ont été nécessaires pour que les ajustements envisagés prennent forme, pour que les choix techniques soient posés, et pour que nous puissions ensuite réaliser les travaux de mise en œuvre de la transformation de toutes nos ressources pédagogiques de notre formation phare en gestion du temps, et reconnaître aussi, parallèlement, ce qui dépassait notre périmètre.
Ce travail de refonte ne s’est pas fait par ailleurs en « vase clos ». Il s’est profondément nourri de notre expérience directe de la formation, de ce que nous observons, session après session : selon nous, entrer en formation, c’est toujours traverser une zone d’incertitude. C’est accepter une forme de fragilité, quel que soit son profil et parcours individuels. En ce sens, nous sommes tous vulnérables, chacun·e avec ses repères, ses freins, ses manières d’apprendre. C’est cette réalité partagée qui a renforcé le fil rouge de notre démarche : penser l’accessibilité non comme une réponse à des cas particuliers, mais comme une attention portée à tous, dès l’entrée en formation.
Entrer en formation : une traversée vulnérable
Car, en effet, entrer en formation, c’est selon nous accepter une forme de mise à nu cognitive et émotionnelle. Ce moment de bascule, souvent inexprimé mais bien présent toutefois, nous place dans une posture d’ouverture, mais aussi de fragilité. Il nous invite à nous défaire, temporairement, de nos repères, de nos certitudes, pour accueillir autre chose.
Si nous venons nous former, c’est bien parce qu’un manque de connaissance a été identifié. Mais comment nous comportons-nous face à ce constat ? Comment entrons-nous dans cette reconnaissance de nos lacunes : en les accueillant ou en les éloignant de nous au contraire ? Avec quelles émotions, passées, présentes, projetées vers notre avenir professionnel abordons-nous ce moment ?
Le constat d’un manque peut réveiller en effet des sentiments très contrastés : confiance en sa capacité à progresser, soif de connaissances, enthousiasme à l’idée d’apprendre ou de faire l’expérience d’autre chose. Mais aussi colère, peur, angoisse de ne pas y arriver, crainte de se sentir “nul·le”, ou au contraire dans une sécurité sereine d’être pleinement en mesure d’atteindre nos objectifs !
Ce sont tous ces chemins intérieurs que chaque stagiaire, selon nous, transporte avec soi dans la temporalité de la formation.
C’est ce processus qu’illustre notamment La courbe de l’apprentissage développée par Daniel Favre1 , le processus d’acquisition passant par des phases de déséquilibre, de doute, de perte temporaire de repères. Ce passage, bien que nécessaire, nous rend vulnérables, quel que soit notre profil.
Daniel Favre illustre ce phénomène par une courbe en trois temps :
- La phase de stabilité initiale, où l’apprenant s’appuie sur ses acquis, ses repères, ses certitudes.
- La phase de déstabilisation, déclenchée par l’irruption d’un savoir nouveau ou d’un questionnement. Elle peut générer du stress, de la confusion, voire du rejet.
- La phase de reconstruction, où l’apprenant réorganise ses connaissances, intègre les nouveaux éléments, et retrouve une forme d’équilibre — souvent plus riche, mais aussi plus complexe.
Cette dynamique n’est pas linéaire. Elle peut être traversée plusieurs fois au cours d’une même formation, avec des intensités variables. Elle rappelle que l’apprentissage n’est pas un simple empilement de savoirs, mais une traversée intérieure, faite de renoncements, de réajustements, et parfois de résistances et de freins qui nous « handicapent » pour ainsi dire.
Notre sentiment c’est donc que la vulnérabilité, souvent silencieuse, ne concerne pas uniquement les personnes dites « porteuses d’un handicap ». Elle peut, selon nous, toucher chacun·e, à différents moments, sous des formes diverses. Reconnaître cette fragilité comme une donnée commune, c’est poser un cadre pédagogique plus juste, plus horizontal, en quelque sorte, moins fondé sur une hiérarchie implicite des parcours, et plus proche de ce que vivent réellement les personnes lorsqu’elles entreprennent une formation. Dans cette perspective, les ajustements pensés pour les personnes en situation de handicap bénéficient en réalité à tou·te·s.
Notre ADN : l’amélioration continue
L’amélioration continue fait partie de notre ADN. Après chaque formation, nous ajustons, nous adaptons, nous modifions, à la manière d’un·e artisan·e qui affine ses créations à chaque nouvelle réalisation, selon les usages concrets observés et les besoins exprimés en session ou recueillis grâce aux questionnaires d’évaluation en fin de formation.
Dans cette logique, le travail sur l’accessibilité s’est imposé pour nous comme une évidence. Il prolonge naturellement notre manière de concevoir la formation, comme un terrain perfectible et d’amélioration constante. Le référentiel Qualiopi a joué ici un rôle de révélateur. Une fois que nous avons compris où nous pouvions aller, ce que nous pouvions faire à notre niveau, nous avons engagé ce chantier avec la même posture que celle d’un·e artisan dans une temporalité longue. Nous avons pris le temps. D’avancer progressivement, par petites touches. Avec des pas en avant et des pas en arrière.
L’étape de la mise en oeuvre des supports « inclusifs »
Passée l’étape de compréhension et de clarification, celle de la mise en œuvre de la transformation de toutes nos ressources pédagogiques de notre formation phare en gestion du temps s’est déroulée sur des délais beaucoup plus courts : tout d’abord, nous avons élaboré un cahier des charges avec nos besoins et nos objectifs, puis nous avons fait appel à un prestataire spécialisé pour la réalisation des supports avec une accessibilité plus large. Les travaux nous ont été livrés sous 3 mois environ. Le travail ici a consisté a des échanges avec le prestataire, notamment sur les arbitrages à faire, par exemple sur la partie graphique. En effet, pour présenter l’information de façon plus « inclusive », nous avons dû faire faire des choix, en essayant au maximum de concilier l’esthétisme avec l’accessibilité.
Cette phase de réalisation a consisté dans la plus grande part à faire des compromis que seuls l’expérience et l’échange permettront de mieux ajuster par la suite. L’écriture inclusive, par exemple, que nous avons adoptée avec soin, pose aussi ses questions : pour certains, elle signale une attention sincère ; pour d’autres, elle demeure un frein à la fluidité de lecture. Nous avons hâte d’accueillir notre premier groupe qui mixera les publics dans notre formation en gestion du temps : personnes porteuses ou non d’un handicap, et de recueillir leurs retours d’expérience.
Dans cette étape de mise en œuvre, nous avons été confrontés aux limites de cette première transformation, nos supports étant adaptés aux situations de handicap léger à modéré : malvoyance partielle, troubles de l’attention, ou difficultés de lecture, mais bien sûr insuffisants pour des situations de handicap plus lourdes. Dans ces cas, des relais et accompagnements personnalisés resteront indispensables.
Les adaptations de nos supports pédagogiques dans notre formation en gestion du temps portent sur les éléments suivants :
- Typographie : choix d’une police plus lisible, uniformisée pour garantir cohérence et confort visuel.
- Tailles de texte : titres et paragraphes agrandis pour améliorer la lecture, notamment pour les malvoyants.
- Balisage numérique : activation du balisage des fichiers PDF et structuration des documents Word pour compatibilité avec les lecteurs d’écran.
- Pictogrammes : simplifiés et accompagnés de textes alternatifs pour favoriser l’usage par les outils de lecture vocale.
- Structure visuelle : conversion au format 16/9, nettoyage des arrière-plans, suppression des illustrations complexes.
- Écriture inclusive : contrôle et correction de l’usage des points médians pour préserver lisibilité et fluidité.
La phase d’expérimentation collective en temps réel
Nos ressources, de prototypes passeront prochainement à l’épreuve du réel avec leur expérimentation. Dès les prochaines sessions, les feedbacks, remarques, et observations nous permettront de régler, ajuster, affiner, moduler nos arbitrages, pour passer du prototype à l’outil vivant.
En préambule de la formation, nos formateurs informeront les publics des nouvelles modalités des ressources pédagogiques qui leur seront présentées. Gageons que les personnes porteuses d’un handicap soient fières de se signaler avec leur handicap, dès l’entrée en formation ! En effet, poser en amont la question de la présence de personnes en situation de handicap suscite parfois des silences, souvent des hésitations, voire une forme de déni.
Certaines personnes nous répondent, notamment celles concernées par des troubles dys. Mais elles ajoutent souvent qu’elles sont habituées à ne pas bénéficier d’aménagements spécifiques, qu’elles « feront avec », comme elles l’ont toujours fait. Cette habitude de sur-adaptation, presque intériorisée, nous rappelle que l’inclusion ne peut reposer uniquement sur la déclaration individuelle. Elle suppose une attention structurelle, portée à tou·te·s, une attention que la transformation de nos supports cherche justement à rendre concrète.
Gageons à nouveau que les personnes non porteuses d’un handicap, s’autorisent à plus de partage de leurs propres vulnérabilités et fragilités dont nous avons parlé plus haut !
Nous avons hâte d’observer ce que la transformation de nos supports pédagogiques dans notre formation en gestion du temps va amener au niveau des apprentissages et des modalités d’intégration des nouvelles connaissances !
Notre souhait profond en définitive est que chacun·e trouve sa place et son rythme, et que la formation donne un espace à tous. Si parfois un choix de présentation facilite la compréhension de l’un·e, c’est que notre démarche avance dans le bon sens ; si, à l’inverse, une difficulté persiste, c’est là que nous comptons sur les retours exprimés pour corriger, modifier, améliorer.
C’est pourquoi, au-delà des apprenants, nous invitons formateurs et partenaires à suivre et contribuer à notre démarche de co-construction qui nous permettra, selon nous, d’inscrire cette intention d’inclusion dans la durée.
Ce chantier n’est donc pas un aboutissement, mais bien le début d’une grande aventure humaine passionnante !
Conclusion : apprendre ensemble, dans la diversité des vécus
Faire de la vulnérabilité un levier pédagogique, c’est une intuition que nous avons suivie tout au long de ce lent travail de transformation de nos supports pédagogiques de notre formation phare en gestion du temps. Notre vocation profonde est de mélanger les publics, porteurs ou non d’un handicap.
Envisagé sous l’angle d’abord réglementaire avec le référentiel Qualiopi, cette démarche s’est révélée pour nous une opportunité unique de mettre en pratique notre vision de la formation : un espace de liens authentiques où l’apprentissage et l’ancrage des savoirs passent par l’expérimentation des vulnérabilités de chacun·e.
Si vous souhaitez en savoir plus sur notre formation en gestion du temps mixant les publics, n’hésitez pas à nous contacter.
Daniel Favre, Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation à l’IUFM-Université Montpellier, Docteur d’État en Neurosciences et Docteur en Sciences de l’Éducation.